Les années 20 sont souvent qualifiées de « folles ». Cet adjectif ne vient pas de nulle part : il fait référence à un bouillonnement du monde. Le traumatisme de la Première Guerre Mondiale s’accompagne d’un grand nombre de privations, de maladies et de morts. Mais il est aussi synonyme d’innovations, de révolutions et d’explosion des frontières.
La sensualité et la féminité chez Man Ray .
Man Ray, sans titre, 1925, épreuve platine, tirage d’exposition réalisé en 2003 d’après le négatif sur plaque de verre 18 x 13 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne.
Le corps féminin est un des sujets de prédilection de l’artiste. Les femmes sont toujours très présentes dans ses œuvres ainsi que dans son existence. Sa vie artistique et amoureuse est impossible à démêler, l’une et l’autre étant des sources de création. Un véritable échange existe avec ses modèles. Certaines sont des muses, comme Kiki de Montparnasse , Nush Eluard, Juliet Browner… D’autres sont des artistes comme Lee Miller et Dora Maar. Chaque relation lui apporte une source d’inspiration nouvelle, un point de vue différent. |
Peggy Guggenheim, Man Ray
Connaissant bien le surréalisme onirique de René Magritte ou de Joan Miró, Man Ray se dirige particulièrement vers la libération de l’inconscient avec un rapport très freudien. Il expose la sensualité et l’expression du désir humain.
Kiki de Montparnasse, 1930
La photographie lui permet de montrer une nouvelle réécriture du corps féminin et d’en dépasser la vision classique.
L’artiste en donne une perception moderne et veut rendre visible le vivant. Il met en scène ses modèles dans des compositions recherchées, remodelant la lumière, les ombres, les couleurs et les cadrages. Simplement ou ostentatoirement, l’artiste met en avant la sensualité d’un corps, d’un geste, d’un regard.
Dora Maar photographiée par Man Ray en 1936.
Paris.
Man Ray débarque à Paris en 1921. Plus qu’un photographe, Man Ray est l’un des protagonistes de la vie artistique parisienne de l’entre-deux-guerres, plus particulièrement du surréalisme. Il n’a jamais été montré sous l’angle de sa contribution à l’émancipation de la photographie de mode. Un genre, né au début du XXe siècle, qui a contribué à la reconnaissance de la photographie comme art à part entière. Des photographies, ainsi que des tirages originaux et contemporains en grand format, sont présentés en dialogue avec des modèles des maisons de couture pour lesquelles l’artiste a travaillé.
Man Ray, Elsa Schiaparelli, circa 1931 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020
Dès son arrivée à Paris en 1921 , Man Ray devient photographe de mode et portraitiste . Pendant vingt ans, il a mis sa liberté de ton et son inventivité au service de son activité de photographe professionnel. Courtisé par le Tout-Paris et le monde de la mode, il renouvelle le genre et contribue à la naissance de photographies emblématiques du surréalisme. Man Ray prétendait vouloir « lier l’art et la mode ». Coquetterie de dadaïste qui aspirait au statut de génie, mais vivait grand train en vendant ses épreuves aux revues Vogue ou Harper’s Bazaar. Habileté d’un virtuose du « Klapp Reflex » qui, en sélectionnant dans son corpus d’images quelques clichés de mode sublissimes, les a promus chefs-d’oeuvre de la photographie avant-gardiste. Il en est ainsi de Noire et Blanche , l’une des plus célèbres qui, avant de rejoindre le catalogue de l’artiste, a été publiée en 1926 dans l’édition française de Vogue . Même tour de passe-passe avec Les Larmes, si emblématique du travail de Man Ray, surréaliste qui, en 1932 , fut une publicité pour le mascara Cosmecil, assortie du slogan : « Madame, pleurez au cinéma, pleurez au théâtre, riez aux larmes, sans crainte pour vos beaux yeux ». |
Noire et blanche, 1926
Lee Miller
Rencontre avec Paul Poiret.
Man Ray, artiste et photographe de mode, telle sera sa carte de visite durant près de vingt ans, dans le Tout-Paris de l’entre-deux-guerres.
C’est sur les conseils de son mentor, Marcel Duchamp rencontré à New York, que Man Ray, 31 ans, débarque en France à l’été 1921 pour rejoindre la bande Dada : Aragon, Breton, Éluard…
Peggy Guggenheim dans une robe Poiret, 1924 © Man Ray 2015 Trust Adagp, Paris 2020
Poiret souhaite illustrer ses toilettes audacieuses par des images nouvelles . Il veut, dit-il, « des photos originales. Quelque chose de différent des trucs que fournissaient habituellement les photographes de mode ». À Man Ray, ce dieu de la mode explique en substance : « Tous les clichés que l’on me présente n’ont aucun intérêt. Toi, tu es un artiste, montre-moi ce que tu peux faire d’intéressant et rigolo ». Man Ray qui n’y voit qu’un bon moyen de financer son atelier, ses pinceaux et sa peinture, s’empresse de répondre : « J’aimerais essayer. » Poiret passe commande. Lui fournit le matériel qu’il n’a pas, projecteur et chambre noire, mais refuse de le payer. |
Lee Miller
Nusch Eluard, photographie de mode pour Elsa Schiaparelli 1930
Soirées chics, muses et maîtresses
Son premier mannequin, Man Ray le met en scène sur un fatras de tissus. Image banale. Mais dont se vantera l’apprenti photographe. « Il y avait des lignes, de la couleur, de la matière et par-dessus tout du sex-appeal ; d’instinct je sentais que c’était cela que Poiret désirait », se réjouit-il. Lors de ces premières séances, il se frotte au gratin, à commencer par la riche et sulfureuse Peggy Guggenheim qu’il photographie drapée dans une robe scintillante signée Poiret. Rien d’exceptionnel : Peggy, statique, tient un interminable fume-cigarette de la main gauche, conformément aux codes photographiques de l’époque.
Mais Man Ray a frappé à la bonne porte : celle qui ouvre sur l’univers de la haute couture et de la publicité.
Peggy Guggenheim dans une robe de Poiret, 1924, épreuve contact gélatino argentique 10,8 x 8 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne/Centre de création industrielle, dation en 1994
Recadrages, surimpression, jeux d’ombres ou de lumières sont ainsi créés dans des images avec lesquelles Man Ray offre à la mode une vision du rêve. Publiées dans les magazines, ces photos dictent la mise en page, elles aussi inspirées de l’esthétique surréaliste.
Peggy Guggenheim
Peggy Guggenheim (robe de Paul Poiret)
Inventer la photo de mode.
“Lee Miller, le visage peint”, circa 1930 – 1980.©Collection particulière, courtesy Fondazione Marconi © Man Ray 2015 Trust / SABAM, Belgium 2020.
La focale de ce faux ingénu provocateur dévoile les plus belles femmes, ce qui n’est pas sans déplaire à ce grand séducteur. Worth, Patou, Alix, Augusta Bernard… les grands de la couture se l’arrachent. Parmi ses amis surréalistes, il mène grand train, commande ses costumes à Londres, possède une voiture, deux ateliers et une maison de campagne. Man Ray suit les tendances. Épouse un double mouvement – celui d’une mode en pleine effervescence et d’une photographie emblématique de la modernité –, en même temps qu’il les symbolise.
En ce début du XXe siècle, l’Américain perce sur un terrain en friche. La photo de mode n’a pas encore grand intérêt. Les clichés sont mal éclairés, les mannequins figés.
Coco Chanel, 1935
Les photos dialoguent avec des pièces de haute couture comme les robes Chanel des années 20 ainsi que le célèbre portrait de Coco Chanel, de profil, mains dans les poches, cigarette dans la bouche, ou des photos inédites de célébrités de l’entre-deux-guerres habillées en Chanel.
Coco Chanel, 1935
Surréalisme et érotisme.
Mains peintes par Picasso vers 1935
À travers ses clichés, Man Ray incarne tout cela. Il photographie son mannequin comme on imposerait un langage, surréaliste, provocateur et érotique .
Un parfum de scandale… « Son oeuvre s’inscrit aussi bien dans les mouvements d’avant-garde de son temps que dans la culture de masse qui émerge alors » . Pas étonnant qu’il soit repéré par les boss de Harper’s Baazar.
Au tournant des années 1930, le magazine américain , institution planétaire dans l’univers de la mode, fait place nette à la photographie.
Ils cherchent du sang neuf, des artistes. Du moderne. Du Man Ray. Il est engagé sous contrat durant cinq ans et sera entre 1934 et 1939 l’un des photographes de mode les mieux payés au monde.
Sans nom, 1930
Lee Millers’ legs, 1930
Robe de petit soir en crêpe noir imprimé, Elsa Schiaparelli, collection février 1936 n°104. Publié dans Harper’s Bazaar, mars 1936, p.72d. 1936 épreuve gélatino argentique 27.8 x 22 cm Paris, Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris © Galliera / Parisienne de Photographie © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020
Le Pavillon de l’Elégance, exposition internationale des arts décoratifs et industriels. Robe du soir “Apollo” de Jeanne Lanvin, 1925
Modèle pour Harper’s Bazaar, 1933
La chevelure, 1929, épreuve gélatino argentique, tirage tardif 28,7 x 19,5 Milan, Fondazione Marconi © collection particulière, courtesy Fondazione Marconi © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020
L’équivoque au quotidien.
Le violon d’Ingres, 1924
Sous ces allures de mondain qui, en dilettante, fait dandy dans les fêtes, Man Ray était un travailleur forcené qui dans son atelier, a appris sur le tas et trimait dur.
En 1921, son expérience se résumait à quelques reproductions de ses peintures, et de celles de ses amis surréalistes. Lorsqu’il a relevé le défi de Paul Poiret, c’est un bleu. Ses premiers clichés épousent les canons de l’après Grande Guerre : images figées dans un décor artificiel. Il prend ce qui lui passe par la main. Un fer forgé pour illustrer un sujet et pour éclairer le modèle, il bidouille un projecteur qui n’éclaire rien et fait sauter les plombs. Et peu à peu se révèle formidable technicien.
Anatomies, 1930, épreuve gélatino-argentique 29 x 22,55 cm, Paris, Bibliothèque Nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BnF © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2020
Man Ray, c’est l’équivoque au quotidien.
L’artiste qui refuse l’étiquette banale de photographe de mode : il se décrit « fautographe ». L’artiste qui triture ses clichés jusqu’aux confins du réel. « Avec un peu de pratique, la photo de mode n’aura bientôt plus de mystère pour moi », annonce l’orgueilleux. Alors il duplique, démarque, dénature. Écrit sur les planches contact, marque du feutre une partie du visage, inverse les négatifs, retouche au crayon les corps et les visages pour masquer les imperfections, colorise, joue avec l’ombre et la lumière.
En ouvrant par inadvertance la porte de sa chambre noire lors d’un développement, il racontera, selon cette légende, avoir inventé la solarisation dont il usera pour accentuer le contour des visages en l’ expérimentant sans fin jusqu’en 1940. Paris est occupé par les nazis : il rentre aux États-Unis. Alors que chez Harper’s Baazar, on l’attend à New York, il préfère Los Angeles. Riche et célèbre, il ne veut plus entendre parler de photographie. Cet art mineur… Man Ray veut peindre et déclare après en avoir fait son miel : « La photographie n’est pas de l’art. »
Photographie pour le Harper’ Bazaar Years
Les Larmes, 1932, épreuve gélatino-argentique, tirage moderne. 25 x 31 cm. Paris, collection particulière
“Larmes” de Man Ray est une icône de la photographie surréaliste.
Cette photo de Man Ray est au départ une simple publicité. Pour du mascara : “le cosmecil” d’Arlette Bernard que l’on retrouve dans les magazines de l’époque avec comme slogan : “pleurez au cinéma, pleurez au théâtre, riez aux larmes, sans crainte pour vos beaux yeux…”
Les Larmes, 1932, épreuve gélatino-argentique, tirage moderne. 25 x 31 cm. Paris, collection particulière
En 1932, Man Ray fait poser Lydie, une mannequin danseuse de french can-can. Elle est très maquillée, ses cils sont d’une longueur vertigineuse. Sur le visage, l’artiste lui ajoute des petites perles de glycérine, simulant des larmes. Plus tard, il recadre la photo et la publie dans un livre, sa photographie devenant une oeuvre en tant que telle.
Magnifique reportage très complet. Merci!!!
merci Martine Si proche de ces modèles qui transcendent des images sensuelles et féminines
C’est un grand plaisir voir et revoir Man Ray. Beau texte à lire sur cette époque pleine créativité. Super
Man Ray photographe de mode plein de féminité et sensualité .
Merci Neusa
Incroyable artiste
merci ma belle
Magnifique photos 🖤🖤🖤🖤
merci
… bjr. pour faire suite à votre article… je suis passé début août à l’expo d’Evian au palais lumière… BEAU.
« Il faut regarder travailler la lumière. C’est la lumière qui crée. Tout peut être transformé, déformé, éliminé par la lumière. »
https://ville-evian.fr/fr/palais-lumiere/expositions/man-ray
merci James pour le commentaire et lien très intéressant
véro
merci pour vos commentaires et j’imagine que l’expo devait être sublime
Très intéressant. À revoir pour approfondir les codes de l’époque. Je retrouve avec plaisir les robes d’Elsa Schiaparelli. Merci pour la découverte de ce photographe.
merci Silvia pour votre fidélité sur facebook et le blog
belle soirée estivale véro
Magnifique reportage !
merci pour votre fidélité sur facebook et le blog.
Belle soirée
véro
Magnifique reportage.
merci patsy pour ta fidélité sur le blog et mon facebook
Grandiose! Un merveilleux onirisme, ma Véro…
merci
Passionnant! Merci, Véro!
merci
J’adore, vraiment! La vraie féminité. Merci, Véro!
merci